Il faut se faire un devoir de rabaisser Randy Newman., sa rigueur maussade, son refus obstiné d’adopter la courbe, ses réflexes d’auteur-compositeur–interprète au service de l’orthodoxie la plus dénuée de texture, de timbre, de souffle, de retentissement.. Opposons ce songwriter du rictus au velouté littéral de Paul Williams.
Inutile de s’appesantir sur la carrière exemplaire de facilité de ce dernier. Bornons-nous à rappeler que ce natif du Nebraska rejoignit la babel californienne à la mort de son père et qu’il entretint avec largesse la pop versant baroque puis domestique avec Holy Mackerel et en solo, que sa collaboration avec Roger Nichols est une plage couverte d’aigues-marines (et que là où le cœur continuera d’insulter les minutes, continuera de résonner « We’ve only just begun », promesse perdue dans le jour blanc), qu’avant d’être le superbe A&R man tranquille qu’il est aujourd’hui, il a joué chez Brian De Palma et dans de nombreux succès de télévision. C’est à l’orée de cette success story, qu’il a composé « Trust », le chef d’œuvre de Peppermint Trolley Co.
Ce groupe de Redlands, CA, peut-être parce qu’il ne connut ni un parcours accidenté, ni l’ébouriffante gloire de certains, fut qualifié de groupe de tout le monde. Il sert de spécimen aux tenants officiels de l’histoire du rock pour désigner « le groupe moyen » de la fin des années 60, « plutôt doué mais sans génie », « comme on en produisait à la pelle dans ces années-là » et finalement « plutôt commercial », tout en restant « à l’ombre de Sergeant Pepper » (rétrospectivement le moins bon album des Beatles pour sûr). Ces jugements reflètent les dégâts qu’a causé le mensonge européen de l’auteur. Peppermint Trolley Co., ainsi que la myriade de baladins à jabots estampillés 1967-1969 (Every Mother’s Son, Appletree Theatre, New Wave, Collage, Fargo, Gordian Knot, Hobbits, Mortimer, Orpheus, Sundowners, Teddy & The Pandas, Holy Mackerel eux-mêmes…) illuminèrent intensément l’époque non en idiosyncrasie mais par le génie collectif, en une armée de séraphins. Et c’est dans la munificence de cet anonymat céleste, plutôt que dans une mesquine, chiche, sale histoire de signature que nous projetons notre vouloir aimer. On ne reproche pas à une étoile, une rivière scintillante, la femme obsidienne qui s’y baigne, de ne pas être les auteurs de leur propre beauté.
The Peppermint Trolley Co. - Baby you come rollin' across my mind
The Peppermint Trolley Co. - Trust
The Peppermint Trolley Co. - I've got to be going
Every Mother's Son - Only child
Appletree Theatre - Don't blame it on your wife
Un superbe article sur la préhistoire de Peppermint Trolley Co. ici : Garage Hangover.