Ecrire comme un pédé progressif exige un entraînement quotidien tant sur le plan stylistique que sur celui de la méthode. Nous dissocierons, peut-être artificiellement, ces deux aspects le temps dexposer les principes dune telle écriture, dont le lecteur vérifiera la validité en se reportant au premier texte sur Buddy Holly. Nous terminerons par une série dexercices à la difficulté croissante. Notez enfin que nous évoquons le style pédé progressif, et pas la musique pédé progressif, qui dans de nombreux cas reste ignorée des principaux intéressés.
1. Valeurs et références/Rapport aux autorités
Un premier élément est la nécessaire dévotion au revival pop en Angleterre, incarné par le groupe the smiths. Comme the smiths ploie tout entier sous la personnalité morbide de leur chanteur morrissey, leurs admirateurs sont bien souvent aveugles à lindigence sonore de leurs disques, passée lannée 1983. Mais au lieu de discuter la qualité musicale de the smiths, je préfère attirer lattention sur les conséquences psychologiques de cette adhésion sans réserves. Le thuriféraire de morissey se forge bien rapidement une idée non-musicale, dogmatique, de la pop music. Pour lui, celle-ci doit être claire, littéraire, mélodieuse et surtout pathétique. Doù son goût pour les baladins tristes, tels michel stipe ou nic drake, et même Ian curtis. Evidemment toute joie connote labrutissement. Cependant, le pédé progressif, obnubilé par la ville de Manchester, avoue un penchant pour la musique disco de the new order et the happy mondays : il la justifie invariablement par la « mélancolie » qui émanerait de leur variété prolétaire. Ainsi the pet shop boys et the pulp se trouvent aussi rachetés. Bientôt il devient urgent de célébrer les pères, qui appartiennent aux années 1960 et qui seraient pour la plupart « méconnus ». De grands groupes comme The Kinks ou The Left Banke ont été honorés, en raison de leur munificence mélodique et orchestrale. En revanche, des mensonges tels que the velvet underground ou nic drake ont été colportés : les pédés progressifs louent chez eux des qualités morales, des poses esthétiques, mais pas la musique. Lautre repère pour les années 1960 est constitué par The Beach Boys. Encore doit-on limiter The Beach Boys à lalbum « Pet Sounds », et élargir pour les plus dogmatiques pédés progressifs à « Smiley Smile », qui fait naître de laborieuses dissertations sur le thème de linfinitude. Pourquoi ? « Pet Sounds » a été réalisé presque sans le concours des autres membres du groupe, qui tournaient au Japon, patrie de The Spiders. Cest donc luvre dun génie solitaire, en phase de repli, qui souhaite faire oublier la prétendue frivolité de ses précédents disques. Pour un pédé progressif, Dennis Wilson nexiste tout simplement pas. Le mythe « Pet Sounds » relève également de la mystique de len-soi et du pour-soi, telle que la pratique le pédé progressif, qui apprécie quun disque douloureux soit enregistré par un groupe apparemment niais. De même, le cinéaste Jacques Demy qui uvre dans le plus sentimental des genres, la comédie musicale. Tout pédé progressif est fier de pouvoir déceler dans ce que daucuns jugent mièvre, une profondeur insoupçonnée. Ah ! Ah ! le dispensable andré gide lécrivait à propos de La Bruyère : « Si claire est leau de ses bassins quil faut se pencher longtemps au-dessus pour en comprendre la profondeur ». Tout à fait pédé progressif comme analyse : pas de complexité affichée, pas de simplicité affichée, mais une complexité tapie dans la simplicité.
En vieillissant, le pédé progressif diversifie son approche ; son dogmatisme, qui est, malgré tout, ce quil a de meilleur, seffrite. Soucieux de ne rien perdre du monde qui lentoure, notre ami se fourvoie dans le piège new-wave/chanson française/musique électronique islandaise/trip-hop viennois/néo-folk WASP. Dans son irrésistible ascension vers la Culture, le pédé progressif ne nourrit plus aucune exigence et cest là quil cesse de nous intéresser. En proie en doute, il revisite lHistoire mais, hélas, tout le porte à ne privilégier que les très grandes gloires de la radio : il se demande ainsi sérieusement si the carpenters est un excellent groupe (« si claire est leau de ses bassins »), pensant que la question présente un intérêt alors quelle nen a absolument aucun ; il se trouve malin lorsquil souligne les mérites irréels de aba et de the 10sissi ; il résume la soul-music à une rivalité Stax/Motown. Laissons-le barboter dans son ironie et son inculture, et avançons dans la connaissance du style pédé progressif.
2. Lécriture : Lemploi des références/Procédés et progression
Noubliez pas de convoquer les références sus-mentionnées chaque fois que loccasion se présente. Faire miroiter son savoir, si exigu soit-il, permet den dissimuler le caractère lacunaire. Alors nhésitez pas et gardez à lesprit que pour un pédé progressif, les équations suivantes prévalent : -velvet underground : groupe mature pour initiés
- The Kinks : groupe pittoresque dAngleterre, maître en mélodies
- The Left Banke : groupe américain intelligent et raffiné
- Scott Walker : comte Dracula
- nic drake : poète élégiaque
- Love : précurseurs de The Pale fountains
Cela devrait suffire pour commencer. Il est possible dexceller dans le style pédé progressif avec un ensemble de dix références sixties, simplement. Le reste est jeté dans la fondrière du garage-rock, qui comme chaque pédé progressif vous le dira, prépare le mouvement punk londonien de 1977, lui-même annoncé par the new york dolls, le groupe préféré de morrissey tout se tient. En revanche, et là votre auteur confesse quil en sait bien peu sur le sujet, soyez experts dans la new wave, le label 4ad et les disques sarah records : le pédé progressif, au meilleur de sa forme, se souvient de the feelies, the sad lovers and giants et the bradford. Nallez pas jusquà les réhabiliter, car ce serait méconnaître la nature essentiellement conservatrice du pédé progressif, qui ne réhabilite que les Grands. Par les temps qui courent, nous vous conseillons de miser sur the cure, groupe du « trauma adolescent ». Quelles seront vos références pour les années 1990 et 2000 ? Sans trop rentrer dans les détails (pour la période 1990/1995, engouement pour le rien acoustique redneck, emblématisé par vic chessnut), vous pouvez tout citer pourvu que ce soit électronique, pensif, invertébré, anti-Bush, modeste, authentique, feutré et comme parfois, il est nécessaire de passer pour un mondain aisé et pas coincé, ouvert desprit, montrez que vous aimez la musique de club « hédoniste » (cest bien le mot) et les beats « acérés et lubriques » du hip-hop anglais. Voici pour conclure sur ce point 4 noms intouchables : biorc, the rem, the radiohead, bec.
tom york de the radiohed
Quelques procédés décriture simposent maintenant. Je ferai vite, en me contentant dindiquer ce quil convient de faire, sans le justifier. En ce qui concerne la structure quil vous faut adopter, il existe deux règles : déployer en introduction une toile de fond culturelle/ terminer par un trait dhumour ou de poésie. Si vous respectez ces deux règles, vous pouvez alors librement concevoir le reste de votre article. Ne perdez cependant pas de vue quun bon disque de pédé progressif est fondé sur un contraste entre lêtre et le paraître. Aussi vous devrez à un moment ou un autre articuler une opposition, voire un paradoxe, par exemple opposer la douceur des mélodies à la cruauté des paroles. Ce genre de mélange est prisé par le pédé progressif. Servez-vous de métaphores et de comparaisons, afin de laisser sentir votre bagage littéraire : un tel sera un « cancre », parce quil nenregistre pas ses disques avec les mêmes moyens que fil collins, un autre sera un « savant fou » parce quil a brisé luniformité dun rythme Ensuite, ne mesurez plus votre ardeur et multipliez les hyperboles ironiques : « à lécoute de pareilles merveilles, on réclame illico la reformation de the velvet underground avec le bassiste de belle et sébastien à la composition ». Vous pouvez aussi, comme dans le premier article sur Buddy Holly, employer dans une même phrase le pronom personnel indéfini, qui donnera une allure de vérité générale à ce que vous écrivez, et le futur de lindicatif, qui grave dans le marbre votre réaction ou votre jugement : leffet est typiquement « pédé progressif ». Pour finir, vous devez suggérer que tel album est si riche quon nen finira jamais de lexplorer, que celui-ci ouvre des pistes pour les dix années à venir, bref que ce nest pas une mince affaire. Voilà tout ce dont vous avez besoin : les travaux pratiques vous attendent.
3. Travaux pratiques
Exercice 1.
Parmi ces phrases, laquelle sort de la plume dun pédé progressif. Justifiez.
a) ce disque marque lapogée du style doo-wop
b) cest ainsi et pas autrement
c) le spleen prend dassaut le dance-floor
d) cest Marshall à fond
Exercice 2
Complétez la proposition suivante par une référence de pédé progressif.
Depuis , jamais le songwriting navait été poussé si loin dans lexposition des blessures et des fêlures.
Exercice 3
Inventez une opposition pour défendre un album solo de guy chadwique ; trouvez un poncif biblique pour encenser le dernier disque de nic cave ; mettez en rapport la musique de the radiohead et leur engagement politique : dites quil sagit dun « rock politique », et citez des précédents.
Exercice 4
Donnez 4 qualités pédé progressif de the kills. Imaginez lordre dans lequel vous les présenteriez.
Exercice 5
Ecrivez votre article pédé progressif sur le groupe de votre choix (prix pour le meilleur). Bon courage !
POSTEZ NOUS EN COMMENTAIRE LE RESULTAT DES EXERCICES, EN PARTICULIER LEXERCICE 5. PROCHAINEMENT, POUR LES PLUS JEUNES, LE STYLE VIEUX LOUP.