C'est au restaurant que le scandale éclata. Tranquillement installé avec des amis, Jeanpop2 savourait son poulet Tandoori quand des gens aux cheveux filasse et aux vêtements tiers-mondistes firent leur entrée avec fracas : des acteurs. Ils s'assirent à une table, déclamèrent des vers assonancés, jonglèrent avec les couverts, puis se mirent en tête de bavasser de sexe avec ostentation.
Jeanpop2 renversa sa table en hurlant de rage et apostropha ainsi cette sinistre bande de saltimbanques :
"Rentrez sous terre, pourceaux! Vous n'êtes que du vomi séché de hippie, incrusté depuis trente-cinq ans dans les sanitaires d'un camping de Lozère! Fermez vos gueules et laissez-moi vous dresser l'histoire édifiante de The Mystery Trend comme on dresse une barricade.
San Francisco en 1966 était comme Varsovie en 1938 : l'enfer pointait à l'horizon. Les journées allaient se succéder sous un soleil blanc et quelques animaux perpétuels nommés grateful dead, country joe and the fish ou jefferson airplane, obersturmführers en guenilles, sortiraient bientôt de leurs squats caverneux pour semer les graines du terrifiant totalitarisme hippie.
Dans un coin du tableau, ce groupe qui n'a probablement jamais eu conscience d'habiter à San Francisco, the Mystery Trend, jeunes adultes en chemises, ceintures et imperméables, cheveux plutôt courts et yeux non vitreux. Leurs chansons aussi étaient courtes, bien ordonnées, sans la moindre trace d'improvisation et de débordement démonstratif.
Comme dit Alec Palao, le séminant rééditeur des bandes de The Mystery Trend, ces derniers préféraient les cocktails à l'acide, et Burt Bacharach à Ravi Shankar. Autant dire tout de suite qu'ils portaient en eux le véritable amour que les caniches en robe n'ont même pas réussi à salir. Un amour dignement exclusif et intellectuellement tendre, comme le souligne ce "Mambo for Marion" (à l'heure des dédicaces creuses telles "waltz for lumumba" ou "song for frisco"), beau comme un geste hésitant du jeune James Stewart. On ne chante pas ici un peuple ou une ville (une agrégation) mais une femme, fille, amante ou mère, soit un individu, véritable destinataire de l'amour qui le contient tout entier.
Ce groupe incapable de jammer, propre de toute drogue, désengagé, est également incapable de débordement : leur musique, d'apparence pâle et lisse, raide mais pas toujours solide, a finalement davantage la sophistication d'une production new-yorkaise, mais sans en avoir l'aplomb, comme en témoigne le très beau "There it happened again", qui ressemble à une chanson de Frank Sinatra jouée à l'heure du petit déjeuner, alors que le ventre est encore vide et les sens encore engourdis.
Et c'est en hommage à ce merveilleux groupe de la lumière et de la mesure, appolinien à une époque salement dionysiaque, que je m'en vais maintenant vous briser les côtes."
Ainsi fît Jeanpop2, et il fît bien, vite et proprement.