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1 octobre 2005 6 01 /10 /octobre /2005 22:00

           Des larmes. Je devais prendre ces larmes pour point de départ. Elles m’avaient été suggérées par l’apparition-même de Randall Webb au son de « Wait Til The Summer » de The Illusions. Les larmes formaient un texte énigmatique renfermant à la fois une morale de vie et l’identité d’un premier témoin dont je m’empresserais de recueillir le témoignage. Or connaissais-je plus d’un être réputé pour ses larmes, celles qu’il versait abondamment dans un élan d’amour et de bonté, dans une tension inaltérable vers le secret de la terre, la beauté de ses créatures, la joie de son inspiration ? Il me fallait interroger cet homme, pleureur impénitent, « crying poet », redoutable danseur et athlète impeccable. Il vivait à New Bedford, petite ville de pêcheurs dans le New Hampshire, où il exerçait le vénérable emploi de contrôleur des douanes. Le poste qu’il occupait s’adossait fébrilement à l’Océan, dissimulé derrière une rangée de bâtisses oranges uniformes, ce qui donnait au visiteur l’impression succincte que l’occupant logeait en vérité dans les flots et qu’il remontait à l’occasion dans sa cabine qui servait de passage vers la terre ferme. Cette idée était renforcée par le fait qu’aucune serrure n’en protégeait l’entrée. Je me glissai ainsi dans l’endroit, en l’absence de son propriétaire, et examinai avec intérêt les rares objets et pièces de mobilier qui en composaient l’intérieur. Une table en bois tressé était disposée au centre de la pièce. A gauche, la silhouette noire d’un bureau de nacre imposait silence et recueillement au visiteur, auquel ne pouvait échapper la crête brouillonne de papiers administratifs, tandis qu’à l’opposé, une couche de nattes rappelait opportunément la simplicité de l’homme qui y dormait. Une seule fenêtre, de dimensions ridicules, laissait pénétrer la lumière blafarde de l’Océan. Je m’approchai du mur en face de l’entrée. Dans un cadre était glissé un très émouvant daguerréotype, représentant un barrage à Louxor, en 1903. Au milieu du paysage, l’aïeul de notre ami, maître de chantier, arbore médailles honorifiques et demi-sourire avec la plus exacte civilité. Puis, un peu plus haut, le poster dédicacé de toute l’équipe (« the team ») des L.A Express, formation 1983.

           Ce poster témoigne de la profonde amitié qui liait jadis notre homme et le coach des L.A Express, Jean Gopoulos, l’un des tout premiers Psycho-bataves, génial au point d’avoir très tôt rompu tout lien avec la musique, vers 1968, producteur et arrangeur spectaculaire, jalousé par Ed Cobb qui lui reconnaissait un flair commercial inégalable, un sens de l’humour sonore insondable et une facilité proverbiale avec les femmes de la haute société, qu’il charmait en grande quantité à l’aide de son Pat. Après avoir entraîné les Express, Jean Gopoulos s’est reconverti dans la gérance de casino : il est aujourd’hui à la tête du Caesar’s de Las Vegas. En promenant mon regard sur les étagères frustes au-dessus de la couche de nattes, je relevai la présence d’ouvrages de droit maritime ainsi que plusieurs essais d’agronomie et de planification sociale. Mais l’atout principal de cette collection était assurément la somme biographique et analytique de Jean-Pierre Paul-Poire sur Marvin Marty, le démiurge du Film de Cave. J’observai la feuille de papier faisant office de marque-page : quelques mots indistincts griffonnés avec violence, où je crus comprendre qu’il s’agissait d’os sacrés, de juments pleines et de The Talismen. Ils étaient signés RW.

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commentaires

S
Poire, connaissiez vous alors, le redoutable duel qui se jouait entre Jean Gopoulos et Emile Maugelman, autre excellent entraîneur d'une franchise rivale de footbal américain. De surprenantes similitudes seraient à révéler, je crois. Votre article me touche vous savez...
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