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9 octobre 2006 1 09 /10 /octobre /2006 19:37

            Dans quelques-unes des meilleures pages de Nick Tosches, on peut lire l’histoire du duo Ming & Ling, dont on ne sait s’il a bel et bien existé sous une forme une et souveraine, tant il est vrai qu’au même moment coexistaient dans des Etats fort éloignés les uns des autres des formations baptisées Ming & Ling. Comme le souligne l’auteur, l’important réside dans le concept de « péquenaud chinois aux costumes bigarrés », racine commune et suffisante de toutes les incarnations du duo. La musique américaine, poursuit Nick Tosches, est ainsi traversée d’un fantastique courant de travestissement qui met en jeu les identités régionales, les tribus et les peuples, et dans cette mascarade, les traits les plus pittoresques étaient bien sûr triomphalement élus entre tous. Or, jamais, et cette condition s’avère providentielle, ce désir de revêtir les frusques mandarines, d’agrémenter les chansons de notations et de sonorités exotiques, ne fit renoncer les musiciens Psycho-Bataves à ce qu’ils avaient inventé. Notre théorie de l’Orgue du Fantôme suggère que le phénomène pourrait désigner une tendance globale des arts narratifs et musicaux britanniques, à savoir une rêverie puérile sur les terreurs étrangères, spécialement orientales, et un attachement puissant aux formes nationales.

                  

 

            L’homme du Maine éprouve-t-il son altérité de manière plus intense au contact du porteur d’eau égyptien qu’à celui de son cousin de Californie du Sud ? Il semble que les sortilèges de l’Orgue du Fantôme aient trouvé une expression saisissante à l’intérieur du territoire américain, dans les limites d’une histoire américaine, les littoraux développant une dynamique légendaire et fabulatrice telle qu’entre l’Empire britannique et ses colonies. Dans une symétrie idéale, l’Ouest américain figure ici la contrée merveilleuse que l’Est révèlera à son mystère inconscient. Et la musique Surf en sera le moyen. En ses terres, le Surf revêt une signification univoque : de n’importe quelle façon, classique comme celui de The Revels, furieux comme celui de Johnny & The Volumes, sophistiqué comme celui de The Beach Boys, le Surf est une manifestation héroïque d’aise, de souplesse et d’ivresse. Il s’agit d’une musique de fête, fondamentalement, même lorsqu’elle sert de support à des évocations nostalgiques. Le Surf célèbre. Pour des raisons climatiques, historiques et esthétiques, l’homme du Maine ne sait pas célébrer, mais sa longue familiarité avec la brume et l’angoisse, avec l’Océan surtout, noue entre lui et le Surf des liens authentiques, puisque le Surf comporte cela qui ne se découvre qu’au seul Surfer et que ne tolère absolument pas la culture californienne : une stase inquiète, détachée de la liesse, de la fête permanente, de la béatitude. Alors le Surf n’atteint à la connaissance de lui-même que par un nécessaire détour par où l’on ne surfe pas, mais où tout de même, le voisinage d’un Océan nous apprend quelque peu ce qu’il est. Dès qu’un embryon de culture lie son destin à une terre particulière, il ne peut engendrer à long terme qu’une création stéréotypée, mais il faut que la culture en question abrite en elle un élément inaperçu du grand nombre, un élément connu des seuls praticiens. Dans le cas du Surf, même cette stase inquiète que nous indiquions ne constitue l’expérience que des seuls Surfeurs, et nul musicien californien ne l’envisage. L’homme du Maine l’a envisagé.

            Ce dernier n’a pas inventé une anti-Surf music, en niant les valeurs qui la définissent, il a plutôt pris en charge sa part négative et intime. Il a renvoyé le Surfeur non pas à son image populaire et épique, mais à son être contrarié, entre suspens et contemplation. Deux compositions (il doit nécessairement en exister davantage) emblématisent ce brusque regain d’intériorité : « Restless Tides » par The Infernos et « Sunset » par The Monterays. Techniquement, toutes les caractéristiques du genre sont inversées, sauf, bien sûr, la référence à l’Océan, et toute une panoplie imitative (mais qui n’est plus la même) : lenteur du rythme, suites d’accords amples, presque planantes, domination des graves, ruptures conçues comme des évanouissements, peu de compacité dans les sons. Loin du Maine et de la Californie du Sud, mais tenant néanmoins plus du premier que de la seconde, la Louisiane, elle aussi, a offert un exemple de ce Surf marginal. Qui d’autre que les plus prodigieux rythmiciens au monde, The Meters, pouvaient paradoxalement donner forme à la quasi-disparition, au murmure, à la dématérialisation, dans « Stormy » ? Cette musique née dans l’Ouest et transfigurée dans le Sud peut légitimement être baptisée Northern Surf.

 

The Infernos - Restless tides

The Monterays - Sunset

The Meters - Stormy           

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23 août 2006 3 23 /08 /août /2006 18:26
            Nos amis Vieux-Loups qui souvent sont en réalité nos tendres pères font consister le sel de leur manière dans le riff. Et le  riff  suscite la possibilité d’une généalogie, à l’image du « riff » kinksien 1964. Certains rythmes jouirent de la même fécondité, ainsi le Diddley Beat, épuré néanmoins des glorieux maracas de Jerome Green. Le son des guitares byrdsiennes se retrouve à chaque angle de la discothèque de DJ Demetrius Jackson. Afin de satisfaire une production intensive, le triumvirat HDH lia sa portée par une commune ligne mélodique, tout juste modulée pour éviter l’accusation d’auto-plagiat. Enfin, en deçà de l’emprunt mélodique, plus dissimulable et exigeant un grand savoir-faire, la duplication de suites d’accords nous intéresse ici, attendu que cette duplication n’entraîne pratiquement jamais une répétition de la mélodie initiale. Personne n’ignore la suite d’accords qui tapisse les très grosses balades internationales humanitaires : do-sol-la mineur-fa. Ni celle qui vêt à la fois les torch-songs des années 1950 et plus tard de la Deep Soul, aujourd’hui déconsidérée : do-mi-fa-fa mineur, et variation courante, sol dièse au lieu de fa mineur. Il est une suite, très oubliée, pour laquelle j’affiche une certaine préférence, et dont la sphère d’usage se limite peu ou prou à la Soul du Nord : elle consiste à s’appuyer sur une note de basse immuable et à enchaîner les accords de mi-sol-la ; l’ajout d’un do, ou plus vicieusement, d’un la mineur 7 est une pratique régulière. Cette suite tient son pouvoir particulier de la note unique de basse, jouée en continu, si bien qu’immanquablement, et peu importe ce que nous hurle le chanteur, les deux mêmes sentiments d’héroïsme et de menace (dirigée contre l’interprète lui-même) emplissent notre esprit. Leur co-présence annule les effets gênants que l’un d’eux pourrait avoir s’il était livré à lui-même, et l’on sait que l’héroïsme pur, c’est The Iron Maiden [1]. M’accuserait-on de me repaître d’un paradoxe typiquement Pédé Progressif que je rétorquerais qu’un héroïsme poussé en ses termes, bien au-delà de sa pureté, dans son essence-même, doit s’inquiéter de son propre mouvement et s’effrayer de sa propre combustion. La suite d’accords héroïco-menaçante est  d’abord illustrée par « (I Know) I’m Losing You » de The Temptations. Elle s’espace de plages d’imminence, sinistres à souhait, dans « Lonely For You Baby » de Sam Dees.  Elle vibre d’un chœur de prêtresses vaudou et d’une basse « massive » dans « Ain’t No Danger » de Clifford Curry. On l’entend toujours, mais quelque peu policée et diminuée, dans « My Love Is Getting Stronger » de Cliff Nobles, et dans le refrain de « Testify » de Johnnie Taylor qui sacrifie cependant l’immuabilité de la note de basse. La brutalité originaire du geste était donc déjà un souvenir dès 1969. Ce souvenir vaut toujours mieux que le néant actuel, qui démontre assez la pleutrerie de ses musiciens.
 
 
 
 
 
 
 


[1] Maiden était au top en 1983.
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10 octobre 2005 1 10 /10 /octobre /2005 22:00

      L'Islande ne fascine plus personne, terre sans âme pour hommes sans coeur. Aujourd'hui refuge chic pour informaticiens et vidéastes à lunettes rectangulaires, sexy comme un mannequin anorexique en moufles ; l'Islande n'a pourtant pas toujours eu la patine pédé progressif qu'elle brosse aujourd'hui fièrement.

      N'oublions pas qu'on y buvait des alcools forts dans le crâne de son ennemi, à l'époque où les Islandais ressemblaient davantage à Ernest Borgnine qu'à une publicité pour agence publicitaire.

 

      Puis, avec Thor's Hammer dressés dans la tornade, c'est la traditionnelle et rassurante histoire du groupe éclos avec la deuxième vague du rock'n'roll : au départ influencés par The Shadows, à tel point que la première formation est baptisée The Shadows (mais en Islandais : Skuggar), le groupe connaît un remaniement lorsque le chanteur se fait opérer des amygdales. puis un voyage à Glasgow du guitariste avec son équipe de foot verra ce dernier acheter son premier album des Beatles, sésame pour un renouvellement magique du répértoire du groupe, devenu soudain grenier Psycho-batave. Puis c'est le film à la "Hard day's night" : "Umbarumbamba".

      D'après la tendance des producteurs de l'époque à neutraliser les impulsions les plus mortifères en les muant en farce souriante, on peut dire qu'"Umbarumbamba" est un film bien en deça de sa bande-son, soit quatre morceaux, quatre cercles de l'enfer islandais : colère crasse ("I don't care"), ennui teinté d'illusions ("Better days"), brutalité paysanne ("The big beat country dance") et sentiment d'inanité ("My life"). Quatre morceaux qui en fin de compte disent merveilleusement l'adolescence mais moins bien qu'un cinquième, "By the sea", écarté du projet final, probablement par un producteur vieux loup.

      C'est pourtant cette chanson qui traduit le mieux ce moment de la vie où la douceur maternelle se mêle de rouge et qu'on prend conscience qu'à trop étreindre on étrangle. C'est sur ces accords de guitare sèche emballés par une batterie trop pressée, heurtée comme dans un bus bondé, que s'entrelacent deux voix qui semblent elles aussi se dépêcher de vouloir.

      Et c'est toute la force de ce morceau, magnifique témoignage de la tendresse primitive, du feu intérieur Psycho-batave qu'éprouve l'adolescent quelques secondes dans sa trop longue vie.

(Vous pouvez écouter le morceau "By the sea" dans le module musical en haut de la page)

 

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12 septembre 2005 1 12 /09 /septembre /2005 22:00

          Messieurs,

          L'un des vôtres a récemment déposé dans ma boîte à lettres un disque compilant des chansons tristement francophones des années 60, cadeau que je n'aurais jamais accepté en mains propres, à plus forte raison en public.

          Mais parce que je suis sociable, et parce qu'il ne faut jamais vexer un vieux loup, j'ai écouté le disque  et j'aurais pleuré de honte si je n'avais la certitude que seules comptent les larmes de joie lors de l'assaut final. Le moment le plus pénible, obscène et révélateur fut "la fermeture éclair" par une certaine delphine, qui éhontément reprend le fond instrumental du délicieux "In the past" de We The People en se contentant de substituer à la candeur inquiète de la voix de Wayne Proctor son grasseyement de charcutière.

          Je n'avais pas fini de ronger mes ongles : le morceau, le lambeau devrais-je dire, charriait toute la vulgarité d'un dimanche de pluie aux puces de Saint-ouen. La dimension fantasmatique des paroles de We The People était gommée au profit de la mode rance telle que la "détourna" andy ouarolles. Wayne Proctor rêve à voix haute, delphine, qui est aujourd'hui morte, faisait du shopping.

 

We The People, citoyens Psycho-bataves

         

          Non, amis vieux loup, resaisissez-vous...

         Chez We The People, cette obsession cristallisée des temps anciens se retrouve formulée musicalement dans une autre chanson, chef-d'oeuvre du groupe versant Wayne Proctor, "Saint John's shop", d'un brun de candélabre, qui aux côtés de "My true love" de Bobby Fuller et de "Frozen laughter" de The Rising Storm figure parmi les sommets de la ritournelle médievale sixties. A travers cette chanson, c'est le droit à la sentimentalité, à la suspension, à rester ailleurs, que nous revendiquons, pour nous, pour le groupe et pour vous. Non, une chanson de 1966 n'a pas d'intérêt qu'à condition de rappeler l'efficacité grossière de celles de 1977. Non, la tendre face B n'est pas qu'une obligation mercantile pour flatter l'oreille après l'assaut mené contre cette dernière par la rugueuse  face A. Non, la profusion mélodique n'est pas valable moyennant un recul ironique ou un esprit de farce, bien au contraire. 

          Vous serez Psycho-bataves le jour où vous écouterez aussi les faces B. Le jour où vous accepterez que votre vie s'épuise en rêveries.

        

 
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14 août 2005 7 14 /08 /août /2005 22:00

1. La Naissance

 

En 1964, Marvin Marty, adolescent gauche et impopulaire, étudie le cinéma à l’Université de Virginie. Il ne montre guère de disposition pour les compétitions sportives, encore moins pour les batailles électorales et ne parvient pas à intégrer la moindre fraternité : même étudiant de troisième année, il est rituellement insulté par les nouveaux venus qui gagnent ainsi le droit de rentrer dans leurs clubs respectifs. Marvin Marty sait au fond de lui-même que ces rebuffades tendent à prouver qu’il ne finira pas sa vie dans la peau d’un square et qu’elles le destinent en outre à devenir une Légende dans son Etat natal. C’est pourquoi Marvin Marty devient le premier organiste des inoubliables Talismen. Or ceux-ci ne pouvant souffrir sa laideur et son grand âge (23 ans) l’évincent avant l’enregistrement du légendaire « She Was Good » dont il co-signe néanmoins les paroles. Cet échec signe le début de son implication totale et effrénée dans la connaissance et la pratique du cinéma. Marvin Marty, qui a très tôt constaté chez lui l’absence de tout charisme, songe combien douce et ferme doit être la sexualité d’un metteur en scène quand on la compare au brusque déchaînement de la sexualité d’une Légende dans son Etat natal. Cette pensée tiendra lieu de consolation et bientôt de credo esthétique. En 1981, sur le tournage de son dernier long métrage Have Some More Wine, Suzy Joe, Marvin Marty, que la mort va faucher dans quelques mois, déclare : « Oui, l’instant Psycho-batave m’a toujours fui. A la place, j’ai imposé une rigueur et une concentration, qui, elles, ont au contraire toujours fui mes modèles. » Marvin Marty puise l’essentiel de ses références dans le cinéma de la MGM et dans celui de la RKO. Il méconnaît ou affecte de méconnaître les cinémas européen et asiatique, à l’exception de Mario Bava et d’Akira Kurozawa. Plus saillant, il se tient à l’écart des débats théoriques qui passionnent alors ses camarades et pendant que le journal des étudiants glose sur Robert Bresson et la morale franciscaine du travelling avant, Marvin Marty, cocaïnomane dès l’été 1966, se repaît de films de cavalerie et de pirates des Mers du sud.

Pour lire l'intégralité de l'article, cliquez ici

 
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13 juin 2005 1 13 /06 /juin /2005 22:00

"J'ai toujours perçu la france non seulement comme un miroir inversé de l'Italie, mais bel et bien comme sa poubelle, et je n'hésiterai plus à affirmer ceci : le Fascisme est plus pictural, musical, esthétique que le gaullisme." Eugène Gong, La Bouche Pleine

 

Franco Nero s'apprêtant à décimer la france

 

   En Italie  En France
 mai 1958  Federico Fellini se lève en pleine nuit pour entreprendre l'écriture de "La Dolce Vita".  Arrivée au pouvoir de charles de gaulle.
 1962  Les futurs membres du groupe Noi Tre se rencontrent à Florence un jour de haut soleil.  Tournée de jacques brel en alsace.
 1964  Umberto Scarpelli réalise le délirant "Géant de Métropolis", mélangeant savants fous, civilisation perdue et rayon de la mort, dans un souffle poétique inédit.   philips lance une nouvelle marque de fer à repasser.
 1965  The Ranger Sound enregistrent le brutal et psycho-batave "Ricordami" et se séparent aussitôt.  Graham Gouldman, grand compositeur "touches blanches" Anglais, refuse que les chas sauvages reprennent son sublime "Going home", que ces derniers comptaient renommer "me r'vla au bercail".
1966  Tournée de The Tormentors à travers le seul pays qui a su reconnaître leur génie.  Début à la télévision du chanteur fantaisiste michel polnaref.
 1967  The Primitives, groupe freakbeat Anglais, se reforme en Italie autour d'un nouveau chanteur inspiré par Sean Bonniwell.   eddy michel renvoie son bassiste, jugé par lui "trop intello".
 1968  Les acteurs psycho-bataves Lou Castel et Gian-Maria Volonté sont bannis d'Italie pour idéaux révolutionnaires. Maurizio Graf, le Scott Walker Italien, les suit dans leur exil.  andré raimbourg, dit bourvil, est nommé chevalier des arts et des lettres.
 1969  Le psycho-batave perverti Lucio Fulci expérimente le goût de la viande humaine, matrice de son oeuvre à venir.  Rien.
 1974  Dario Argento invite Dennis Wilson à Rome en vue de lui confier le rôle principal des "Frissons de l'angoisse". Le chanteur convole avec la femme du cinéaste et l'association est violemment interrompue.  johnny halliday est invité à l'anniversaire de la veuve pompidou. Il lui offre un livre de son mari qu'elle possédait déjà.
 1975  Adriano Celentano, seul chanteur Italien désagréable, enregistre son chef-d'oeuvre, une reprise de "Stand by your man" de Tammy Wynette.  Ronnie bird, le seul chanteur français à peu près décent, se retire de la musique et lance son entreprise de matelas aux Etats-Unis.
 1992  Voyage de Jean-Pierre-Paul Poire, encore enfant, à Rome, où il croise Michel Piccoli expliquant nerveusement à des importuns qu'il n'est pas le fameux acteur français mais un honorable citoyen Italien.  "Bonne année" pour le vin dit "sancerre".
 2002  Le label Misty Lane réalise le sublime  en sortant l'intégrale de The Dovers.  Mort de philippe manoeuvre à nogent-le-rotrou, où il est poignardé par un fan. 
 2005  Sortie de l'album de The Mojomatics, dignes descendants de The Pretty Things et The Brogues.  Le prix Jacques Pouillot est décerné à Michel Boudin pour son roman "Le sentier du bon-vivre".
 11 juin 2005  Le psycho-batave en marche.

 Jeanpop2 croise Lou Castel dans un bus parisien. Recroquevillé, malade, comme au bord des larmes, le grand acteur serre la main d'une femme brune au profil de vampire.

 

 

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28 février 2005 1 28 /02 /février /2005 23:00

              Le lyrisme des deux derniers disques de The Impressions ne repose pas seulement sur les compositions de Curtis Mayfield. Il naît en grande partie de leur sonorité étrange, qui allie le goût classique pour la luxuriance et l’espace avec la puissance sans partage des cuivres et du jeu de guitare. C’est à la fois une musique d’arrangeurs, portée sur l’emphase, parfois académique, et une musique vivante, où l’instrument, plus du tout considéré comme pièce du dispositif orchestral, sort de ses rives, ou presque. A la différence du j***, auquel un lecteur malveillant ne manquera pas de penser, il n’y a aucun solo dans la musique de The Impressions, aucune mystique de l’expression, aucun voyage intérieur. Rien de stupide. Car l’instrument se met au service de l’ensemble, même s’il le fait en rugissant. Une mélodie jouée par le violon s’insère dans la chanson dont elle sera l’indicateur du drame, un chœur de trompettes voudra élever le sentiment et souligner la fierté du chant au moment du couplet. C’est toujours l’air qui justifie la participation des instruments, en quoi l’art de The Impressions relève apparemment d’une conception classique de la poésie : la représentation idéale d’un concept de la nature dont la réalité empêche le plein et harmonieux développement. Mais, dès lors que la représentation rompt avec l’idéal, l’équilibre des parties, qu’elle recherche la déformation, l’amplification au profit de l’intensification des traits, nous entrons dans autre chose, qui est l’art maniériste. The Impressions, maniéristes de la soul. Comprenons bien que l’art maniériste reste un art de la représentation, qu’il ne se prend pas lui-même pour objet, qu’il rejette toute transcendance et toute intériorité à la fois, bref qu’il se distingue du goût moderne. Le maniériste est simplement celui qui, pour nous parler de la nature, choisit de la styliser à l’extrême, souvent sur le mode de l’amplification (The Impressions mais aussi Brian De Palma). Voyez à quel point je ne doute pas de ce que j’écris.

 

 "Mickael Jackson est innocent" Fred Cash

           

            « My Deceiving Heart » est l’aboutissement de cette recherche ornementale. Au contraire d’une ballade de Paul McCartney, classique en ce qu’elle équilibre ses forces et vise à la plénitude d’un sentiment, produisant ainsi un effet de lissé, une ballade de Curtis Mayfield, un peu comme une ballade de The Band que chanterait Richard Manuel, comporte des accents, des notes italo-américaines, si bien que le sentiment est généré par la quantité de traits plutôt que par la qualité idéale d’un ensemble. Il s’agit pour Curtis Mayfield de graduer le sentiment là où Paul McCartney préfère l’exposer dans ce qu’il a d’achevé. Illustration : « Hey Jude » terrasse par la séquence mélodique toute entière ; « My Deceiving Heart » chavire d’abord par l’introduction vieux loup à l’orgue et au piano, ensuite par le riff de guitare et la cadence qu’il suscite, enfin par le soutien du chœur, et plus généralement, par l’irrégularité du chant de Curtis Mayfield. Cet amoncellement (incomplet) des traits, plus que le continuum mélodique et harmonique, excellent de toute manière, fait la beauté maniériste de la chanson. La succession de trouvailles, d’éclats, la volonté constante et pathologique de faire couler les larmes, non sur la durée mais dès l’apparition de signaux, la couleur unique et aveuglante des arrangements, telles sont les conditions d’un art maniériste, superlativement remplies par « My Deceiving Heart ». Non, il ne s’agit pas de variété, parce que tout ici, sans être boursouflé, aveugle par la grâce et le luxe des moyens mélodiques, incompatibles avec l’indigence de la variété sur ce plan, par la splendeur et le règne des arrangements, qui comme dans un film de Vincente Minnelli doublent toutes les scènes, par la profusion d’harmonies enfin –là, plus de comparaisons, le secret s’est perdu à mesure que se mettait en place la tyrannie mortelle de la variété. Quantifier n’est pas alourdir et tant que la confusion sera faite, des imbéciles, ceux-là même qui vous chantent les louanges de leurs « Otis », « James » (le génie de ces deux-là ne souffre pas qu’on les traite en intimes)  ou « Aretha » (fossoyeuse de la soul, pourvoyeuse de j*** soft aseptisé dont la musique inonde n’importe quel film familialiste ringard avec Robin Williams, mère de monstruosités frigides comme Alicia Keys qui ne sert que des clichés sentimentaux faisandés et qui ne mérite absolument pas qu’on la respecte, et là l’horreur un temps propagée par le Philly Sound doit être incriminée, destructrice de tout ce qui a été beau et psycho-batave dans la soul music, Aretha,  prisée des directeurs de chaînes de télévision, des festivaliers ignares et de Bill Cosby, qui éclipse depuis bientôt quarante ans Betty Harris, Della Humphrey et Gwen McRae, qui a sacrifié la soul music à l’usure du rock business, qui est apparue dans le désastreux Blues Brothers), puisqu’ils sont les gardiens de la tradition et de l’ordre, jugeront que The Impressions sont un orchestre de variété. Cela est intolérable et vous mourrez tous.

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27 janvier 2005 4 27 /01 /janvier /2005 23:00

       S’il paraît raisonnable de lui préférer M. Lennon lorsqu’on est jeune, il est sage et philosophiquement vrai de chérir en M. McCartney le maître absolu du songwriting. Je ne nie pas que M. McCartney, malgré « Helter Skelter », « I’m Down », « I Saw Her Standing There », « Drive My Car » et d’autres, soit avant tout un auteur de ballades et ajoute que c’est une gloire indicible que de savoir composer des refrains sentimentaux. L’ironie carnassière de M. Lennon ne lui permit jamais d’atteindre les cimes mélodiques de son partenaire d’écriture. Bien au contraire, dès 1966, M. Lennon sacrifie une partie de son génie en adoptant la triste mode hindouisante du moment. On sait qu’il acheta « Le Livre des Morts » dans une boutique chic du centre de Londres, et flatta ainsi dangereusement l’inclination du seul Beatle détestable, Georges Harrison, pour la méditation transcendantale. A cette époque, M. McCartney orchestre « Eleanor Rigby », pierre de touche de la pop baroque et pendant que ses camarades folâtrent comme des hippys millionnaires (curieux petit univers sur lequel règne l’auteur de What ? : Roman Polanski), notre ami œuvre en compagnie du vénérable Georges Martin dans la composition de bande-sons. Là encore, M. McCartney démontre qu’il est un homme de l’éternité, puisqu’au lieu de prêter son concours à de débilitantes oeuvrettes psychédéliques, il choisit des drames et des comédies nostalgiques.

 

 

       Si l’on se réfère maintenant au disque le plus populaire des Beatles, on notera que M. McCartney fait mine de participer au courant dominant, celui du pré-psychédélisme, ses concepts-albums et ses costumes chatoyants ridicules, tout en enregistrant des chansons courtes, polies et acérées. Il laisse son apparence se conformer aux canons contemporains (et en exagérant cette conformité) et continue dignement à égrener ses joyaux mélodiques. Son ascendant sur M. Lennon, qui compose pour l’occasion ses chansons les plus futiles, est évident en cette année 1967. Les partisans de ce dernier invoquent deux années, pendant lesquelles M. Lennon l’emporterait sur son rival : 1964 et 1968. Ils admettent qu’en 1963 puis en 1965 (la meilleure année des Beatles), les deux hommes, qu’ils collaborent ou bien écrivent chacun de son côté, fournissent un nombre équivalent de chefs-d’œuvre. Pour l’année 1964, M. Lennon est quantitativement prolifique mais il n’est pas l’auteur de « Things We Said Today », de « And I Love Her ». Aurait-il eu l’audace de chanter dans une répétition hallucinatoire les vers : « And if you saw my love/ You’d love her too/ And I love her » ? Les historiens, incapables de comprendre l’ancien lyrisme, préfèrent disserter pesamment sur la « crise dylanienne » de M. Lennon… Pour l’année 1968, année du retour en grâce de M. Lennon, M. McCartney, de son côté, découvre qu’il est le plus grand auteur de torch-songs au monde. « Hey Jude » et « Junk » en portent témoignage. Ce don s’exacerbe pendant l’année 1969. Rongés par l’influence pernicieuse de Georges Harrison, homme mal aimable, les Beatles sont prêts de se séparer. Toutes les ballades de M. McCartney réussissent alors l’alchimie du particulier et de l’universel. « Two Of Us » se présente à la fois comme le récit ému des frasques de deux jeunes Anglais, le dernier regard sur l’existence irresponsable d’avant le mariage, et comme le rappel d’une ancienne complicité volée en éclats. Le commentaire serait redondant pour l’inoubliable « The Long And Winding Road » : même alchimie, difficile à atteindre pour M. Lennon qui, belle affaire, commence alors sa cure de « cri primal ». « The Long And Winding Road », dès son titre, plante un décor romanesque sentimental définitif dans lequel on reconnaît sans peine un des grands motifs imaginatifs chers à Julien Gracq. Au contraire du cliché, le grand motif imaginatif est immémorial et la pureté de ses contours fait que son sens est inépuisable, toujours réinvesti par le cœur du poète. « Penny Lane » s’en approchait, seuls le pittoresque, le démon du détail, l’en éloignaient. Mais « The Long And Winding Road », mes amis, c’est tout à la fois des romanciers comme Wilkie Collins et Thomas Hardy et des chanteurs soul comme James Carr et O.V. Wright. Longue route, battue par le vent, nuit profonde, que peu à peu la pluie décille, et qui chaque fois me conduisent à ta porte. Pareil degré de poésie se refuse à la plupart d’entre nous, et c’est pourquoi M. McCartney est bien le meilleur.

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8 janvier 2005 6 08 /01 /janvier /2005 23:00

                                                                                      

 A Jean pop II, Marquis de Pompadour,

ami et frère de la connaissance

 

   Il est faux de prétendre, comme beaucoup de romanciers l'ont fait, que notre personne se composerait de plusieurs moi. Si nous voulons réinvestir cette notion d'un contenu, nous devons admettre que le moi est l'unité tant contrastée , tant menacée de toutes nos manifestations. L'erreur de Mrs W. et de M. P. consiste à nier la complexité intrinsèque du moi, comme s'il était raisonnable de réduire celui-ci à une seule attitude vitale. Au contraire, le moi est le résultat de conflits, de dissensions qui, loin de le fragmenter, en assurant la vitalité. Cette obstination à vouloir critiquer la notion de moi s'appuie finalement sur une banalité: nous sommes parfois contradictoires, ce que le sens commun a toujours su. Le moi, analytiquement singulier, serait plutôt la réunion de pôles, dont la soul music nous raconte la lutte fratricide.

 

   Il coexiste en chacun de nous, sans que cela nuise à l'intégrité de notre personnalité, un pôle David Ruffin et un pôle Lee Dorsey. Ces pôles recouvrent chacun une pluralité d'attitudes de vie et de pensée, qu'il faudrait bien sûr détailler, mais nous n'en donnerons ici que les articulations, étant entendu que cet article ne sert que de propédeutique à une nouvelle discipline de l'esprit, dont le nom reste à trouver. Avant de décrire le fonctionnement de ces deux pôles, le lecteur aimerat sans doute que chacun d'eux soit présenté pour lui-même.

   Le pôle David Ruffin est le vecteur de toutes nos pulsions mortifères, il est l'expression moderne de l'Instinct de mort. La flamboyance constitue son ressort, nourrissant un comportemment violent, égocentrique et destructeur: véritable force de frappe, pluie de napalm, le pôle David Ruffin est responsable à la fois de nos désastres et de nos éclats tragiques. Il ne s'agit pas pour autant de le condamner, ni d'apprendre à le museler, parce qu'il peut par ailleurs nous procurer une capacité surhumaine de détestation, et c'est par lui que notre sentimentalité s'exacerbe. On remarquera l'ambivalence, difficile à dissiper, de ce pôle, dont le rendement, chaotique le plus souvent, peut parfois s'avérer immense.

   Le pôle Lee Dorsey nourrit, quant à lui, notre pouvoir d'amabilité et de contentement. Il est une célébration innocente et joyeuse des bienfaits de la vie, un "sourire" d'après Allen Toussaint. Elégance, décontraction et familiarité lui sont dues. Ce pôle explique l'aisance, la confiance, avec lesquelles nous accomplissons nos actions. Si, à la différence du Pôle David Ruffin, le pôle Lee Dorsey ne nous entraîne pas sur les cimes de l'humanité, au moins ce dernier nous confère un équilibre et un sens de la bonté, absents du précédent.

   Le lecteur perspicace aura compris qu'aucun de ces deux pôles, et même dans leurs échanges, ne saurait justifier la création. C'est qu'il manque à notre description la notion de fluide Sly Stone. Le fluide Sly Stone circule entre les pôles et de cette circulation naît l'énergie de la création. Il est une sollicitation permanente de la force des pôles David Ruffin et Lee Dorsey. Quand le fluide parvient à stabiliser son rythme, dans une économie idéale de forces polaires, il peut donner lieu aux plus magnifiques créations, dont le parangon est justement Sly Stone. Seulement, il arrive que le fluide Sly Stone s'investisse tout entier dans un pôle particulier, dans lequel il ne peut de toute façon demeurer à loisir, et nous observons, alors que telle attitude vitale, impossible à tenir dans la réalité parce que trop éprouvante, prend miraculeusement forme. D'où l'existence du type Marvin Gaye, investissement total du fluide Sly Stone dans le pôle David Ruffin, et le type Curtis Mayfield, investissement total du fluide Sly Stone dans le pôle Lee Dorsey. Les irrégularités de la circulation fluidique permettent aussi bien d'autres genres de création, qui donneront lieu à des cas, tel le cas Betty Harris, le cas James Carr ou bien le cas Bobby Freeman, tous remarquables du fait qu'en elles-mêmes, les irrégularités ont atteint à chaque fois des zones privilégiées des deux pôles: il en résulte (qu'on pense au cas Betty Harris) une oeuvre peu cohérente, alliant les registres les plus opposés, mais toujours infaillible dans son excellence. Signalons enfin la possibilité  d'un dysfonctionnement, imputable au fluide Sly Stone lorsque celui-ci n'irrigue plus les pôles David Ruffin et Lee Dorsey mais se dépense lui-même en tant que force de vie. Quand le fluide se prend pour objet, soit la création se vide de tout sens pour aboutir au déchet (dégénérescence Parliament) soit le fluide est suffisamment bouillonant pour susciter une création singulière et fascinante (faculté Andre Williams).

 

   Nous espérons ainsi contribuer à l'essor de la science psychologique, convaincus de son importance pour un projet de paix universelle et aussi de sa nécessité dans la perpétuation de l'espèce humaine.

 

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27 novembre 2004 6 27 /11 /novembre /2004 23:00

     Au dos de l'album Bird on a wire, on peut voir Tim Hardin qui, tel le démon des vieilles attractions, émerge des ténèbres, escorté d'une menaçante colonne de fumée. Mais on s'aperçoit très vite que nulle malice ne préside à cette apparition, et qu'au contraire, l'homme est figé dans la posture implorante de celui que son désir a fui. Aucun triomphe de nature morbide et paradoxale ne compense ce que l'on voit: si le romantique et le martyre sont deux des images les plus entêtantes lorsque l'on songe à Tim Hardin, le contenu et la portée des chansons imposent l'image à peine plus juste de l'homme abîmé, dont le corps se disloque, et que ne rachète nul angélisme. Si langoureuses que soient ses ballades, si fragile la voix qui les porte, Tim Hardin s'avère incapable de mesurer son implication émotionnelle, et donc de créer quelque repli esthétique dans son oeuvre. D'où la simplicité élégiaque de ses compositions, mais aussi l'impudeur flagrante de l'album Susan Moore. En glorieux primitif, Tim Hardin communique des émotions et parce qu'il paraît meurtri par chacune d'elles, toutes ont la puissance des drames, l'intensité des morts et des résurrections. Cette emphase sentimentale l'apparenterait presque à Tim Buckley, si ce dernier ne s'était pas créé justement un repli esthétique dans l'expérimentation sauvage de Lorca ou de Starsailor. Lorsque Tim Hardin chante "Every moment being so much when your baby's skin is there to touch/Every moment bringing more, that's what mother and father are for", la grâce du sentiment, dépouillée de sa niaiserie, atteint sa limite.

     En 1971, Tim Hardin commence de mourir, et sa créativité s'est pour ainsi dire éteinte. L'aisance et l'évidence des vieux jours semblent lui revenir un peu le temps de composer le sublime Southern butterfly et pourtant, la chanson fascine surtout par son morcellement, la progression recherchée des accords, le quasi-occultisme des paroles. Pour le reste, si l'on s'en tient aux créations originales de Tim Hardin, la priorité du sentiment sur le matériau artistique s'affirme de plus en plus nettement: l'impudeur de Susan Mooretrouve sa logique dans le renoncement. Il y a, toujours au dos de Bird on a wire, à hauteur du visage tendu et infiniment triste, à sa gauche, un oiseau. Comble de l'inattendu. C'est là qu'opère magiquement sur l'esprit la suggestion des tons funèbres de la photographie. L'oiseau est une corneille ou un corbeau, ses ailes sont clouées au bois de la fenêtre, le mauvais oeil, les séductions mêlées des pélerins du Nouveau Monde et des sorciers de Louisiane, le maelström des malédictions antiques, tout cela finit par engloutir l'observateur, et bien malgré soi, c'est une icône que l'on détaille. Et si l'on accorde quelque valeur à l'histoire de cet album, il va par ailleurs de soi que l'image s'aligne sur les poncifs du jazz introspectif: l'orchestration, précieuse et virtuose, la voix, tout en glissements et variations, sa douleur si américaine, si océanique, et probablement d'autres traits, comme le choix du label Columbia, appartiennent bien au jazz. Il y a là quelque chose de concerté pour fabriquer une version masculine de Billie Holiday, un modèle d'épuisement et de passions consumées, un exemplaire mort-vivant. Ce modèle, Chet Baker l'a réussi à la fin de sa vie.

     Mais Tim Hardin est un revenant. Son corps ne s'est pas disloqué. L'Oregon, dont il est originaire, est un état forstier, sa capitale est Salem, et rien n'empêchera l'imagination de libérer les fantômes dont elle est grosse. Au contraire du mort-vivant, le revenant n'a pas de présence physique obsédante, sa nostalgie le garde de tout appétit féroce et son humeur favorite consiste en la "muette compassion" évoquée dans Southern butterfly: "I'll stay and wait all night, asking your silent sympathy" : image douce et affable du prince-fantôme, que sa réserve tient sur le pas de votre porte. Hagard, violent et charnel, Tim Hardin a pu l'être, à la façon du mort-vivant, jusque dans le dénuement et la dépossession, mais ce qui se produit en 1971, et que la loi américaine n'avait su prévoir, c'est le destin fantomatique d'un de ses meilleurs poètes. Non promis à une mort choquante ou abjecte, mais à une mort presque domestique, causée par l'amour, à une date, 1980, où plus personne ne mourrait ainsi, tim hardin est devenu fantôme pendant les dix années qui séparèrent la publication de Bird on a wire de l'année de sa mort, sa seconde mort. Tim Hardin a connu deux morts. l'auditeur que le nom de Tim Hardin attire -parce qu'on l'associe à celui de Nick Drake, de Phil Ochs, de Fred Neil, etc., doit garder à l'esprit la courbe si particulière de l'errance selon Tim Hardin: une révérence interminable  où percent avec ironie les manières exquises des anciens jours. Alors le gospel, qui irrigue puissament l'album Bird on a wire, devient la seule parole envisageable, immémoriale et immatérielle comme le fantôme. Il n'est pas question de perte ni de rédemption, mais d'un asile immaculé pour celui que les affaires humaines ont cessé d'intéresser, et donc qui ne cherche pas à déplorer ni à réparer leur débâcle: simplement, il faut une terre vierge, pas une terre riche, où se reposer. La fierté du personnage dans Midnight caller se comprend dès lors ainsi: ne plus ennuyer personne, ne rien souiller de sa détresse intime, et, afin de ne pas encombrer jusque dans la mort, devenir fantôme. Une parcelle du vent, chantait Tim Hardin en 1966.   

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