Une déclaration, d’amour j’entends, fusse-t-elle la sincérité même – elle envisage pour l’avenir chapeaux et couronnes florales, tulles à la traîne et dentelles montées sur talons, la grâce, l’harmonie, l’éternelle innocence d’un sentiment, noble, sûr, mis a nu devant amis et parents sourires, le temps d’une noce, et dedans la chambre vivre, dedans la chambre nuptiale surtout – bref, une telle déclaration peut aussi se solder par le plus flamboyant des échecs, le plus brûlant qui soit, quelque inimaginable sortie, imprévue, et entre l’un ou l’autre vit une ballade.
Cette ardeur qui va toute seule, incertaine, dont on ne peut deviner l’issue, c’est la chanson Look to Me de The Uniques qui nous en fournit, ici, l’élan. Son propos est nu, d’un romantique des plus classique, tout à fait traditionnel, quand la musique, retenue, solennelle, chevaleresque en tous points, compose une des ballades des plus entêtantes, des plus paradoxales qui m’ait été donné d’entendre en Louisiane. J’ai bien dit : en Louisiane ! La terre sensuelle primordiale, mater carissima, par excellence, où en 1966 tout était chair, sueur, cuivres, larmes, déguisement, pas de danse dans du coton, sur un plancher, du rhum à la bouche. Figurons nous un Lancelot inassouvi, bombardé au milieu de toute cette fanfare fredonnant sa ritournelle… Le contraste m’inspire.
Il n’y a pas de refrain dans Look to Me, seulement un riff en motif d’introduction, trois couplets et un pont où l’orgue, qui jusqu’ alors flottait à la traîne, ajourne une noce imaginaire. Il y a les mots sweetheart, honey, someone, forever, l’expression til’ the end enfin la coda où le chanteur répète presto, en l’accentuant, son désir : look to me. C’est justement cette absence de refrain, la répétition quadrangulaire du couplet comme les quatre murs d’un foyer que le chanteur rêve de partager, qui, moi, me laisse à penser que cette ballade ne s’adresse à personne ! Mais qu’elle émane d’un après midi de solitude adolescente, bientôt mure, dans une chambre, où croît le désir qu’une vie conciliée, une vie d’adulte advienne, qui voit un homme désirer qu’une femme à son bras s’appuie longtemps, une femme dont, à ce moment précis, il ne connaît pas encore ou plus le visage. Une ode à dimension universelle, une invitation presque quasi démocratique, comme démocratique peut paraître l’existence d’un couple.
Or, je devine aussi flotter derrière tout cela je ne sais quoi d’inquiétant, la présence d’un secret, d’une boule noire, non dite. D’inatteignable ou peut-être de déjà passé. Comme si l’auteur de Look to Me rendait les armes. Une rédemption ? Comme si une seconde chance venait de lui être offerte après qu’il ait été longtemps blessé, mis à terre. Qu’il en venait à se dire You gotta take what comes sans plus songer à savoir s’il est heureux. Ce You gotta take what comes, je l’emprunte au personnage de Bud, interprété par Warren Beatty dans la scène finale du film Splendor in the Grass. Il y donne la réplique à Natalie Wood, Deany. Le film montre comment un couple d’adolescent se brise, est brisé d’une manière ou d’une autre par les familles respectives des deux amoureux. Les parents de Deany, à l’initiative de sa mère surtout, la place dans un asile. Là-bas, les années passent, le cœur de Deany peu à peu perd de son enthousiasme, il s’oublie, il végète, se calme, elle va pouvoir sortir, un jour…. Enfin elle sort. Et dès sa sortie, Deany décide de rendre visite à Bud, totalement ignorante de ce qu’il est devenu, elle veut le voir, le regarder. Ce qui advient : Elle découvre un homme jeune encore mais qui à présent vit dans une ferme avec sa femme, Angelina, ses enfants, il élève ses 50 vaches, il ne pense plus s’il est heureux ou non, les jours lui sont passés sur la tête. Il y a deux ans, il a chanté Look to Me à sa jeune et belle épouse, à elle il a rouvert son cœur, et chantant Look to Me, il a tu en lui le secret des heures splendides, des heures fiévreuses où sa vie ne tenait qu’aux baisers, miraculeux, qu’il volait à Deany… Un refrain à jamais s’est envolé. Mais un couplet superbe, plein, généreux s’est accompli, se répète, inlassable, sur le collier des jours mûrs il s’égraine, l’éternel lui a donné voix et chance. Et c’est ce qui nous émeut, que nous avons reconnu à l’écoute de cette chanson.