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3 novembre 2004 3 03 /11 /novembre /2004 23:00

Greg Shaw en 1977, comme en 1966

 

Le 19 octobre 2004 à 55 ans. Greg Shaw était l'homme derrière les labels Bomp/Voxx/AIP, ce qui ne vous dit peut-être pas grand chose. Disons alors que depuis la fin des années 60, cet homme a remué tous les grains de sable californiens, sur la plage ou dans le désert, avant d'étendre son activité jusqu'au sol américain en entier, puis au monde, pour dénicher les titres les plus méconnus et incroyables de ce qu'on appelle aujourd'hui le rock garage, des morceaux qui étaient à l'époque considérés par les amateurs sérieux comme des plagiats ineptes de groupes plus riches. Dans des séries étourdissantes (Pebbles, Highs in the mid-sixties, English freakbeat...), il les a révélés à un monde abruti par la tiédeur rigoriste d'une musique à peine née et déjà à bout de souffle. Avec greg Shaw, cet amateur de Proust et de science-fiction (lui ne faisait pas semblant de lire Blanchot ou Derrida, il n'était pas New-yorkais), collectionner des disques devenait une activité tour à tour sexy, poétique et cérébrale. On pouvait être beau et élégant comme le batteur des Standells, amasser avidement des 45 tours obscurs aux pochettes chatoyantes et, en même temps, fréquenter des jolies filles. Avec Greg Shaw, l'histoire du rock garage américain devenait une passionnante entreprise de cartographie, où chaque état avait ses noms magiques (Corpus Christi, Point Pleasant, Pacific Grove...), sa couleur spécifique (la rudesse gaillarde du Nord-Ouest, la douceur mélancolique de la Nouvelle-Angleterre...) et ses connections inattendues (Saviez-vous que par sa pulsation héritée de la soul, la scène garage louisianaise offre des ressemblances avec celle du Michigan?). Mais surtout, Greg Shaw a appris à des générations de compileurs et de déterreurs de beauté à être réceptif au coup de foudre, à l'enthousiasme jamais entamé de la jeunesse. Ecoutez n'importe quel volume de Pebbles et vous vous rendrez compte qu'avant l'énergie brute et les décibels, c'est l'émotion qui prime, la frustration, l'anxiété, le désespoir mais aussi la joie, le lyrisme, souvent même la tendresse de tous ces adolescents Américains coincés entre les bras potelés de maman et un avenir moleskine dans la banque de papa, eux qui se rêvent enlacés à Mary Carol ou posant lascivement dans la rolls de Mick Jagger. Cette beauté prépubère, c'est Lester Bangs (en théorie) et Greg Shaw (de manière concrète) qui nous l'ont pleinement révélée. L'auteur de ces lignes eut le privilège, il y a à peine quelques semaines, d'avoir une brève correspondance, via internet, avec Greg Shaw. Je l'avais appelé Dieu, il m'avait trouvé drôle et il me reste la triste impression d'avoir esquissé une poignée de main avec un fantôme. Allons, il faut affronter la pénible réalité: Dieu est mort. Et comme ajoutait William Holden dans "Breezy": "Je ne savais même pas qu'il était malade."

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