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26 janvier 2005 3 26 /01 /janvier /2005 23:00

 

"We ignore responsibility

  And people

  They just can see

  We want to be free

  Give our hearts to the sea"

      The Sunsets "The hot generation"

 

            Le plus grand critique de tous les temps est sans conteste Randall Webb. Convaincu de correspondances planétaires complexes dans le rock mid-sixties, il passa cinq ans à parcourir terre et mer afin de tisser des liens souvent inattendus. M. Becquerel a retrouvé dans la soute d'un cargo malais un de ses carnets, absolument inédit et sensationnel, dont nous brûlons de vous livrer un extrait. A suivre.

 

            "J'ai toujours considéré l'Australie comme le bout du monde. Terre hostile et inféconde, surface plane aux plages désertes et à la végétation brûlée, voilà ce qu'elle évoquait pour l'enfant que j'étais. Il a fallu la découverte de The Atlantics pour confirmer cette vision. Et en particulier ce morceau, "Come on", beau et lent comme une marée noire.

            J'ai depuis effectué le voyage en Australie pour constater ce à quoi je m'attendais: il n'y a pas d'envers souriant à cette désolation. Les autochtones vous accueillent du poing et n'écoutent pas vos réponses à leurs questions. Les femmes, vêtues d'amples robes bleu marine, préparent pendant la journée les alcools violents que consomment les hommes le soir, ces mêmes hommes que l'on peut voir la nuit rôder en meute à la recherche de plus fort qu'eux. Les urbanistes conçoivent les villes sur le modèle de la douleur, et les paysagistes, ivres ou fatigués, laissent la nature proliférer comme elle l'entend. Les enfants se jettent du haut des rares falaises dans la mer, nagent juqu'au large jusqu'à expérimenter le goût salé de la mort puis reviennent et recommencent. Quelques années plus tard, ils se procurent des guitares rouillées et les éclaboussent de rouge.

            Russ Kruger dut se prêter à ces jeux sauvages avant de devenir chanteur à cravate, et il a fallu l'animalité morbide de The Atlantics, avec qui il a enregistré le minéral "Keep me satisfied", pour le remettre sur le chemin inverse. Très caractéristique du son de The Atlantics, ce morceau a la majesté de l'iguane, immobile, qui sent venir l'orage et dont toutes les pores sont ouvertes aux forces élémentales. Russ Kruger y semble mal à l'aise : il ne sait pas s'il doit se conformer à ses habitudes et sourire aux filles du premier rang, ou prendre un air menaçant. Il en est de toute façon absent, feuille dans la tempête. Paru pendant l'été indien de 1966, après une reprise forcément idiote de "splish splash", ce quarante-cinq tours coïncide exactement avec la consécration épiscopale des évêques Haitiens, qu'on peut voir comme la conséquence directe de cet enregistrement.

 

 

            Cette violence rentrée éclate, on a envie de dire vomit, tant l'opération se fait par à-coups hocquetants, avec "You're driving me insane" de The Missing Links. Voyous de terrain vague, qui comme leur nom l'indique sont absolument perdus, sciés du cordon ombilical d'une famille, d'une culture, d'une existence sociale. En témoigne cette ligne monstrueusement analphabète : "when I kiss your lips you're driving me insane". Il s'agit cependant, dans le rock australien, d'un cas isolé de psychotisme. Contrairement au rockabilly ou aux groupes les plus déments du rock garage américain (songeons à The Bees ou The Cavemen), aucun recul ironique ou psychédélique n'est possible ici : il est difficile d'esquisser un  sourire à l'écoute de ce titre, et s'il pointe quand même, il se fige vite en une grimace bestiale.

           Cette part animale peut également nous rappeler la rudesse white-trash des groupes contemporains texans, mais que l'on se détrompe vite : The Missing Links sont  insoucieux et incapables de faire preuve de la tendresse épisodique qui anime des groupes tels que Kenny and the Kasuals ou The Bad Seeds.

             On est alors tenté de rapprocher cette approche hautement virile du rock avec l'esprit Northwest représenté par The Sonics ou The Wailers. Erreur encore : la première préoccupation des précédents est d'apporter un bon moment au public des salles communales, de perpétuer un esprit festif du rock, hérité de Little Richard et du surf-rock, en le rendant à l'occasion moins futile et plus sombre. Mais on reste tout de même loin des terres australes impossibles :  ainsi ces deux morceaux, "Watch out" de The Id et "Zoom zoom zoom" de The Cam-Pact, qui sont deux essais, disons de frat-rock et de bubblegum. Qui ne donnent aucunement envie de danser ou de s'amuser, mais de tuer de sang froid.

            Incapable de divertir, de chaleur, d'enfance et d'amour, les Australiens sont condamnés... (ici, le texte devient illisible sur quelques lignes)... "Gypsy woman" de The Allusions, où, d'une banale descente d'accord (c'est une reprise de Ricky Nelson) le groupe se jette avec un abandon total, sacrifiant pour cela tout ce qu'il n'a jamais possédé, un sol sous ses pieds."

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